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Jean-Luc Mélenchon et la « France Insoumise » : Et si on parlait de la France qui soumet ?

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À moins de trois mois de l’élection présidentielle, la question internationale est particulièrement absente du débat politique. De fait, il semblerait que depuis la « libération » d’Alep, les morts auraient cessés, les guerres devenues silencieuses. Pourtant, en ce moment même, les massacres continuent notamment au Yémen sous l’égide de l’Arabie Saoudite et de ses principaux fournisseurs d’arme, dont la France. C’est un silence complet et coupable qui sévit dans la campagne présidentielle. Étonnamment, c’est au détour de déclarations d’Emmanuel Macron que la question internationale s’est réinvitée dans le débat. L’ex-banquier a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité ». Suite à ces déclarations, la droite et l’extrême-droite ont poussé en toute logique des cris d’orfraie. De son côté, Jean-Luc Mélenchon a condamné la colonisation tout en affirmant que « la colonisation est un fait qui doit concerner les historiens ». Des déclarations du candidat de la « France Insoumise » qui marque une certaine ambiguïté. L’occasion pour Révolution Permanente de préciser que loin d’être soumise, la France est avant tout un pays qui en soumet d’autres.

Philippe Alcoy

La campagne de Jean-Luc Mélenchon attire la sympathie de grand nombre d’électeurs de gauche déçus du gouvernement de François Hollande et du PS ainsi que des électeurs qui votent traditionnellement « à gauche de la gauche ». Pourtant à l’heure où le nationalisme xénophobe et raciste gagne de larges secteurs de la classe ouvrière et des opprimés au milieu d’une profonde crise des partis traditionnels, les envolées patriotiques de Mélenchon posent de véritables questions.

En effet, le patriotisme exacerbé par Mélenchon n’est pas une nouveauté. Il était déjà présent dans ses discours lors de la campagne présidentielle de 2012, quand Mélenchon était le candidat du Front de Gauche. Dans la campagne actuelle, il semble y avoir un approfondissement de cette orientation. Cela se voit évidemment dans le nom même de la campagne mais aussi dans d’autres symboles comme l’éviction presque totale du chant de l’Internationale dans ses meetings.

Le nationalisme et l’exaltation de la France traverse tous les domaines abordés par le candidat Mélenchon : l’économie, l’écologie, les réformes politiques…

Ce tournant discursif et politique marque un éloignement de plus en plus grand du candidat de la France Insoumise vis-à-vis des traditions internationalistes et anti-impérialistes du mouvement ouvrier, même si le PCF stalinisé avait déjà largement entamé cette tradition. En ce sens, ses discours et prises de position sont plus proches de l’idéologie nationaliste et « assimilationniste » de la 3èmeRépublique que d’une politique de rupture radicale et socialiste avec le capitalisme impérialiste.

La France, une nation « universaliste » ou une puissance impérialiste et coloniale ?

A la différence du FN affichant un nationalisme ouvertement xénophobe et raciste, que Mélenchon qualifie de « nationalisme ethno-communautariste », le nationalisme du candidat de la France Insoumise en propose une autre version,d’apparence plus « sympathique ». Il s’agit d’un nationalisme républicain où peu importe l’origine ethnique des citoyens, ce qui compte c’est « l’amour pour la patrie », pour la France, qui nous unifie tous. Et cette France doit être une nation où les citoyens, en défendant les intérêts nationaux, défendent les « intérêts de l’humanité », une nation à vocation « universaliste » par la transmission de ses valeurs à l’humanité toute entière.

Or, ce patriotisme qui propose la création d’une communauté nationale, au-delà des origines des individus, autour de valeurs partagées et surtout de l’allégeance à la République,on pourrait le rapprocher de la tradition « assimilationniste » de l’État colonial français. Une idéologie développée surtout à partir de la 3èmeRépublique à la fin du XIX siècle et bâtie sur l’écrasement de la Commune de Paris de 1871. Cette politique visait à créer un récit national basé sur l’illusion que les colonisés étaient des « Français comme les autres » pour assurer la légitimité de la domination de la France dans ses colonies.

Mais Mélenchon se dit jacobin, son inspiration c’est la Révolution de 1789.Son mythe fondateur est ainsi celui de « l’esprit de la Révolution Française » qui substituera à la « mission civilisatrice » la « vocation universaliste » de la France. Comme il a expliqué dans son (maintenant) célèbre meeting holographique : « la France n’est jamais si grande que quand elle se pense comme une composante de l’humanité universelle. (…) Nous sommes là pour nous penser avec notre niveau de culture, d’éducation, de préparation, notre incroyable richesse accumulée grâce à nos anciens. Nous sommes là pour répondre de nos devoirs devant l’humanité universelle, non seulement comme Français mais en se pensant comme être humain ».

Cependant, ce que cette façon de poser la question du patriotisme et du rôle de la France dans le monde « oublie » c’est que l’assimilation en tant qu’instrument de la colonisation combinait la recherche d’une « cohésion nationale imposée » à une violente négation de l’identité culturelle et nationale des sujets colonisés. Cette négation qui se trouve dans les fondements du racisme d’État, héritage direct du colonialisme français. Ce même racisme d’État qui se sert du prétexte de soi-disant « valeurs universelles » comme la laïcité ou instrumentalise la lutte pour les droits des femmes pour se justifier. Ce racisme d’État qui est à la base des violences policière quotidiennes dans les quartiers populaires habités majoritairement par des personnes issues des anciennes colonies françaises. Les cas de l’assassinat d’Adama Traoré ou celui du viol de Théo sont là pour nous le rappeler.

Une autre conséquence de ce discours nationaliste c’est la négation, non d’un passé colonial lointain, mais de l’actualité coloniale de l’État français. En effet, comme on peut tous être français indépendamment de notre origine ethnique, il n’y a aucune contradiction à ce que des territoires aussi éloignés que la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte ou la Nouvelle Calédonie, entre autres, puissent être considérés « naturellement » comme appartenant à la France. Des colonies dont on a changé la façon de les appeler, des peuples dont les identités sont opprimées voire niées, étranglés par une économie de dépendance tournée vers la métropole.

Il n’est pas anodin en ce sens que par exemple dans le cas du viol de Théo, Mélenchon condamne l’événement mais comme le fait d’individus isolés ou d’un groupe d’individus à l’intérieur de la police, dont il demande l’exclusion, mais aucunement comme le résultat du racisme structurel de l’État français et d’une politique consciente de la part des forces de répression dans ces quartiers. Et dans le cas des territoires coloniaux français, qu’on appelle hypocritement DOM-TOM, Mélenchon est un fervent admirateur de la puissance maritime française, qui n’est possible que grâce à la possession de ces territoires colonisés, et semble par ailleurs, comme on verra,très fier que la France soit présente dans les cinq continents.

Non, la France n’est pas une nation à vocation universaliste, pas plus qu’elle n’est le pays des droits de l’Homme, elle est avant tout une puissance coloniale et impérialiste.

La France, une puissance pour la paix ou une puissance guerrière ?

Jean-Luc Mélenchon a dédié ses vœux pour 2017 à la politique internationale. Dans cette adresse il a exposé son idée d’une « France non-alignée » face aux rivalités montantes entre les Etats Unis et la Russie : « je sais combien souvent mes propos sont déformés, transformés, jusque et au-delà du risible (…) Il faudrait s’aligner ! Je ne m’alignerai pas. La politique que je défends est une politique non-alignée. A mes yeux la France n’est pas une nation Occidentale, c’est une nation universaliste. Elle n’a rien à faire dans ce que l’on nomme (…) l’Occident. La France (…) n’a rien à faire dans l’alliance politique qui a survécu à la fin du monde de Yalta qui est l’OTAN ». Et au meeting à Lyon il revient sur la politique de défense de l’Europe et le rôle de la France : « Il ne saurait être question d’accepter cette folie qu’ils ont trouvée pour se substituer au rêve moribond de l’Europe. Ils nous ramènent maintenant une soi-disant Europe de la Défense. On se demande contre qui on va se défendre. L’Europe de la défense c’est l’Europe de la guerre et nous sommes pour l’Europe de la paix. Et la France n’a à être le fourgon qui accompagne aucune armée ».

Pour Mélenchon donc la France doit se déclarer « non-alignée » car ce seraient des puissances internationales, notamment les États-Unis à travers l’OTAN, qui l’entraîneraient dans des guerres et conflits, la réduisant même à un « fourgon qui accompagne des armées » étrangères. Or, comme c’est décrit de manière brillante dans le rapport de janvier dernier de l’association Survie, « Cinq guerres pour un empire », aucune puissance étrangère ou l’OTAN n’a entraîné la France à intervenir en Libye, au Mali, en Côte d’Ivoire, en Centrafrique, à installer des bases permanentes au Tchad ou au Burkina Faso ces dernières années. Ce ne sont pas non plus les États-Unis qui ont obligé la France à bombarder l’Irak et la Syrie. Au contraire, la France avait une position bien plus agressive et belliqueuse sur ce dossier que les États-Unis qui venaient d’un échec militaire en Irak. Ce sont les intérêts impérialistes de la France qui l’ont amené à lancer pratiquement une guerre par an depuis 2011.

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Mis à jour le samedi 13 avril 2024