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Les violences policières, symptôme d’une dangereuse fébrilité autoritaire

Crédit Photo : Photothèque Rouge /Martin Noda

Les manifestations se suivent, et les violences policières se poursuivent. Mais, depuis plusieurs semaines, un certain plafond de verre a été brisé, avec des prises de positions, entre autres celles du journal le Monde, qui dépassent de très loin les cercles habitués à dénoncer les exactions commisespar les forces dites « de l’ordre ». Jusqu’à atteindre les sommets de l’État ? On en doute…

Cédric Chouviat est mort dans la nuit du samedi 4 au dimanche 5 janvier, suite à une violente interpellation policière le vendredi. Comme toujours, les premières versions policières ont mis en avant la thèse du « malaise ». Mais très rapidement, les témoignages, les vidéos, et les résultats de l’autopsie, qui révèle « une manifestation asphyxique avec une fracture du larynx », indiquent que Cédric est une nouvelle victime de violences policières.

Techniques mortelles

Selon les témoignages, confortés par les vidéos, il aurait subi une clé d’étranglement et/ou un plaquage ventral, écrasé au sol par quatre policiers, qui l’ont asphyxié. Des techniques policières malheureusement courantes en France, alors qu’elles sont interdites dans plusieurs pays européens. C’est le même type de violente interpellation qui avait provoqué la mort d’Adama Traoré en juillet 2016.

Les versions policières ont évolué, qui ont évoqué le fait qu’il téléphonait depuis son scooter, ou alors que sa plaque d’immatriculation était illisible car trop sale. Mais quel que soit le motif du contrôle policier, il apparaît, au vu des témoignages et des vidéos, que c’est le fait que Cédric Chouviat a filmé son interpellation qui a énervé les policiers, alors que c’est son droit le plus strict, et qu’ils se sont sentis autorisés à le violenter, jusqu’à la mort.

Alors que Castaner, l’éborgneur en chef, évoque poliment, au sujet des circonstances de la mort de Cédric, « des questions légitimes, auxquelles des réponses devront être apportées en toute transparence », il apparaît évident que cette mort vient s’inscrire dans la longue liste des victimes de violences policières. Et il n’y a évidemment aucune confiance à avoir dans l’enquête qui va avoir lieu suite à l’ouverture d’une information judiciaire pour « homicide involontaire », confiée à une IGPN dont la partialité n’est plus à démontrer.

Quelques jours plus tard, le jeudi 9 janvier, lors de la manifestation contre la « réforme » des retraites, c’est un énième déchainement de violences policières que nous avons subi, avec des scènes particulièrement insupportables à Paris, Nantes ou encore Toulouse. À un point tel que, le lendemain, Le Monde, peu connu pour sa radicalité, publiait un éditorial dans lequel on pouvait lire : « La manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites, jeudi 9 janvier, a été émaillée à nouveau par ce qu’il faut bien appeler, sans s’encombrer de guillemets, des violences policières. Les multiples vidéos montrant des manifestants frappés au sol par des fonctionnaires, ou encore celle où l’on voit un agent tirant à bout portant au LBD – le parquet de Paris a ouvert une enquête sur ce geste extrêmement dangereux – suffiraient à révulser n’importe quel citoyen. »

Changement de discours ?

Lors de la manifestation du 18 janvier à Paris, ce sont les images d’un homme, maintenu au sol, le visage ensanglanté, frappé par un policier, qui ont à leur tour fait le « buzz ». Une manifestation au cours de laquelle d’autres cas de violences policières ont été documentés, notamment par des journalistes indépendants. Journalistes indépendants qui dénoncent, en outre, la multiplication des exactions contre les journalistes qui couvrent les manifestations, qu’il s’agisse des interpellations ou des violences physiques, avec des dizaines de cas documentés au cours des dernières semaines.

Confronté à ces images, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a eu des mots comme il n’en avait encore jamais eus : « J’ai vu ces images, qui sont des images choquantes pour lesquelles le préfet de police a immédiatement saisi ses services pour les comprendre, pour voir s’ils peuvent trouver une explication. À l’heure qu’il est, je n’en vois aucune. »On remarquera toutefois qu’il ne condamne pas les violences du policier, et qu’il laisse la porte ouverte à des « explications » : « Il faut que la vérité soit faite sur cet acte et que nous le comprenions. S’il y a une faute, elle sera sanctionnée. »Comme si l’on pouvait douter qu’il y ait une « faute »…

Devant les évidences, la multiplication des cas et les prises de position venues de secteurs de plus en plus « mainstream », y compris parmi les soutiens et l’électorat de Macron, ont contraint les responsables politiques de la Macronie à changer partiellement de discours et à sortir de leurs dénégations pavloviennes. Mais des discours aux actes, il y a un fossé qui est loin, très loin d’être comblé. Le préfet Lallement est toujours en poste, les consignes des hiérarchies n’ont pas changé, aucune mesure coercitive n’est prise contre les policiers coupables de violences (on a ainsi appris que ceux qui ont tué, par asphyxie, Cédric Chouviat, continuent tranquillement d’exercer, et ont même reçu une visite de soutien de Lallement).

« Traumatiser les corps et les esprits »

Le 26 janvier, Christophe Castaner annonçait la fin de l’utilisation des grenades GLI-F4. La production de ces grenades mutilantes avait cessé depuis 2014, et leur remplacement par les GM2L était déjà en cours… Des grenades qui ne sont pas moins dangereuses, comme l’ont souligné les avocats de plusieurs blesséEs et mutiléEs dans un communiqué publié après les annonces de Castaner : « Si [la GM2L] ne contient certes pas de TNT, elle est dotée d’un dispositif pyrotechnique équivalent et possède les mêmes caractéristiques lacrymogènes et assourdissantes. Sa fonction, quant à elle, demeure : traumatiser les corps et les esprits. »Un CRS, cité par l’AFP, va dans le même sens : « Pour nous, ça ne change rien puisque la GLI est remplacée par la GM2L ». Voilà qui confirme sans ambiguïté, pour ceux qui en doutaient, que la décision du ministre de l’Intérieur s’inscrit avant tout dans une logique de communication, et absolument pas dans une volonté de réduire les risques de blessures et de mutilations pour les manifestantEs.

Il n’y a en réalité, du côté de pouvoir, aucune remise en cause publique des stratégies violentes de maintien de « l’ordre » et de l’utilisation d’armes de guerre, mutilantes, contre les populations. Aucune compassion pour les victimes, aucun regret, aucune forme d’autocritique. Le syndicat Unité-SGP Police-FO ne s’y est pas trompé qui, par la voix de son secrétaire général, a parlé d’un « effet d’annonce à vocation politique, à quelques semaines des municipales ».

On notera toutefois, et l’on doit s’en féliciter, que si l’annonce du retrait d’une arme mutilante a une « vocation politique », c’est parce que le débat sur les violences policières est désormais installé dans le paysage, en raison de l’ampleur et de la persistance du phénomène, que plus personne ne peut nier, et grâce à la mobilisation des blesséEs, des mutiléEs et de leurs avocats, et au précieux travail des journalistes indépendants. L’enfumage de Castaner est donc révélateur, « en même temps », de la volonté du pouvoir de maintenir sa gouvernance autoritaire et de la pression qui s’exerce sur lui au sujet de violences qu’il ne peut plus nier.

La légitimité ne se décrète pas

« Dans un État démocratique républicain, le monopole de la violence légitime, c’est celle des policiers et des gendarmes. »Ainsi s’exprimait, le 7 janvier 2019, Gérald Darmanin, alors qu’il venait d’être questionné au sujet des nombreuses accusations de violences policières commises contre les Gilets jaunes. Darmanin aurait mieux fait de lire le sociologue Max Weber, auquel il prétend se référer, plutôt que de répéter sottement une formule sans la comprendre. Car la formule exacte de Weber est beaucoup plus subtile que ce qu’en ont retenu les petits soldats de la Macronie. Au début du 20e siècle, Weber expliquait ainsi que l’État est une communauté qui « revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Une formule/définition qui tient compte du fait que, contrairement à ce que semblent croire Darmanin et Cie, la légitimité ne se décrète ni ne se proclame : elle repose sur un accord tacite, un consentement, une adhésion.

Pour Antonio Gramsci, la domination de la bourgeoisie vial’État moderne ne peut être comprise si l’on ne tient pas compte du fait que les dominants doivent obtenir le consentement de fractions des classes dominées et leur adhésion, à bien des égards, à un ordre qui les maintient pourtant dans une position subalterne. C’est dans ce cadre qu’il forge le concept d’hégémonie, entendue comme une forme de domination qui repose sur « la combinaison de la force et du consentement qui s’équilibrent de façon variable, sans que la force l’emporte par trop sur le consentement, voire en cherchant à obtenir que la force apparaisse appuyée sur le consentement de la majorité »1. La force et le consentement sont les deux variables essentielles permettant de comprendre non seulement la domination qui s’exerce dans l’État moderne, mais aussi les différentes trajectoires éta-tiques et les différents modes d’exercice du pouvoir de et dans l’État.

Une histoire de dialectique

Si l’utilisation de la force est au cœur de l’exercice de la domination bourgeoise par le moyen institutionnel de l’État et, en dernière analyse, le moyen ultime pour assurer cette domination, les formules résumant l’État à la seule force armée négligent le fait que le degré d’utilisation de la force par l’État bourgeois peut être variable et doit toujours être pensé en relation avec la quête d’hégémonie des classes dominantes. Il existe une relation dialectique entre force et consentement : plus le consentement est faible, plus la classe dominante devra se reposer sur l’appareil d’État et la coercition ; plus l’appareil d’État est faible, plus la classe dominante devra rechercher le consentement des dominéEs.

Ainsi, si la violence d’État est consubstantielle de la domination bourgeoise, elle s’exerce sous des formes et à des intensités diverses selon les configurations politiques et sociales, et doit donc être pensée dans son historicité. La situation que nous traversons actuellement en France, marquée par un degré élevé de répression, est à ce titre singulière, mais elle s’inscrit dans une longue histoire, faite de moments répressifs particulièrement intenses auxquels ont pu succéder des phases où la violence d’État s’exerçait de manière moins brute.

Crise hégémonique

L’autoritarisme macronien est aujourd’hui l’expression « à la française » d’une crise d’hégémonie des classes dominantes à l’échelle internationale, qui se déploie sous des formes diverses dans la plupart des « démocraties bourgeoises ». Lors de l’élection de Macron, la question était posée de savoir s’il représentait une solution à cette crise d’hégémonie ou s’il était un produit de cette crise qui ne pourrait, à moyen terme, que l’approfondir. Même si ses contre-réformes répondent aux souhaits de la bourgeoisie, la crise est loin d’être résolue : les réformes sont votées et s’appliquent, mais le consentement n’est pas là.

Le développement de cet autoritarisme n’a pas commencé avec l’élection de Macron mais auquel ce dernier a donné une accélération, n’est pas un accident de parcours. Répression policière, at-taques contre la liberté de la presse et offensive contre les droits démocratiques font système, et sont un élément structurant du macronisme. Nous devons donc malheureusement nous attendre à ce que les exactions policières se poursuivent et ne connaissent pas de ralentissement, nous y opposer et les dénoncer, en n’oubliant pas qu’elles témoignent paradoxalement de la fébrilité d’un pouvoir à la légitimité particulièrement faible, dont il est grand temps de se débarrasser avant qu’il ne détruise l’ensemble de nos droits et de nos libertés démocratiques.

Julien Salingue

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Mis à jour le dimanche 24 mars 2024