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Rencontre à Matignon. Les directions syndicales jouent le jeu du dialogue social

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Bequilles du gouvernement
Rencontre à Matignon. Les directions syndicales jouent le jeu du dialogue social

Ce jeudi Jean Castex a reçu Philippe Martinez, Yves Veyrier (FO) et Laurent Berger à Matignon. Au menu, la réforme des retraites que Macron veut relancer dès cet été et la vague de licenciements. Une manière pour le gouvernement affaibli de redonner l’illusion du « dialogue social ».

Hélène Angelou
Wadii Adi
Philippe Martinez (CGT), Yves Veyrier (FO), Laurent Berger (CFDT), et Jean Castex

Un gouvernement affaibli qui en appelle au dialogue social

Depuis que le gouvernement Castex a été formé, la rhétorique du « dialogue social » ne cesse d’être martelée par le nouveau premier ministre. Après avoir affirmé hier matin au micro de Jean-Jacques Bourdin que « [sa] responsabilité c’est de rouvrir le dialogue » avec toutes les organisations syndicales, il s’est à nouveau présenté au Sénat comme « un homme de dialogue ».

Ainsi, le remaniement s’accompagne d’une énième annonce de changement de méthode. Comme à chaque crise, le macronisme agite l’argument du retour au dialogue social et le rétablissement des « corps intermédiaires », reniés pendant la première phase du quinquennat Macron. Pourtant, à la veille d’une crise économique d’ampleur le gouvernement, largement affaibli et délégitimé par une gestion catastrophique de la crise sanitaire, sait qu’il va plus que jamais avoir besoin des syndicats pour éviter l’explosion sociale.

Car, si Jean Castex met en avant « sa méthode », la nature du remaniement, orienté résolument vers la droite, n’a échappé à personne, et les grands discours du confinement ou l’annonce d’un « tournant social » paraissent bien loin. Le changement de gouvernement, et le choix d’ancrer celui-ci à droite, rend évident le prolongement d’une politique visant à faire payer la crise économique aux travailleurs, déjà lourde de conséquences, faisant du « dialogue social » une pièce maîtresse pour calmer le jeu.

Déjà en juin, le gouvernement a multiplié les rencontres avec les partenaires sociaux à l’Élysée, en agitant la promesse de négociations sur la question de la réforme des retraites ou de l’assurance-chômage. Sans surprise, l’agenda gouvernemental est resté inflexible dans sa volonté de faire payer la crise aux travailleurs, comme en attestent les prêts garantis, le prolongement du chômage partiel et autres aides apportées sans conditions de préservation de l’emploi, ou encore la baisse du niveau d’indemnisation du chômage-partiel à partir d’octobre. Une approche peu surprenante, que Philippe Martinez et Yves Veyrier ont dénoncé, mais qu’ils ont contribué à cautionner en maintenant ce cadre de dialogue.

Pourtant, deux semaines après ce camouflet, les directions syndicales ont accepté de rencontrer le nouveau premier ministre qui a commencé à recevoir Laurent Berger (CFDT), Yves Veyrier (FO), et Philippe Martinez (CGT) ce jeudi 9 juillet en plus du président du MEDEF Geoffroy Roux de Bézieux, avant de rencontrer les dirigeants des autres organisations patronales, la CPME et l’U2P. A l’ordre du jour des discussions figurent à nouveau les réformes phares du quinquennat, réforme des retraites et réforme de l’assurance chômage en tête, dans la continuité des rencontres précédentes.

Une rencontre qui s’inscrit donc dans le cadre de la tentative du nouveau gouvernement de réconcilier la macronie avec les corps intermédiaires en recevant « les partenaires sociaux, tous, un par un, et tous ensemble avant le 20 juillet », avant d’ouvrir le dossier des retraites qu’Emmanuel Macron a annoncé vouloir relancer « dès l’été ». Ainsi, après avoir expliqué que tout se ferait « dans le dialogue et la main tendue », Jean Castex a réaffirmé sa volonté de reprendre le chantier des retraites, affirmant que « refuser de parler des retraites lorsque l’équilibre des comptes, et donc la sauvegarde du système actuel se trouve compromise, serait irresponsable ».

Laurent Berger satisfait sur « la méthode »... le MEDEF aussi !

Laurent Berger a été le premier à avoir été reçu à Matignon ce jeudi matin. Au sortir de la rencontre, le secrétaire général de la CFDT s’est dit satisfait d’avoir eu « une réunion très franche et très ouverte sur la question de la méthode ». Après avoir assuré avoir « clairement dit au Premier ministre que la question des retraites ne devait pas venir polluer la question de la relance », le leader cédétiste a affirmé : « La CFDT ne pratique pas la chaise vide, mais si le gouvernement ouvre des concertations sur les retraites cet été ou à l’automne, la CFDT ne s’y investira pas vraiment. »
Pourtant la CFDT reste favorable au régime de retraite par points voulu par le gouvernement. En affirmant que « ce n’est pas le sujet de l’été et de l’automne », Laurent Berger montre que s’il souhaite ajourner le dossier des retraites, c’est avant tout une question de calendrier. Et pour cause, avec la crise économique, les attaques contre les travailleurs s’accélèrent et les plans de licenciement se multiplient ces dernières semaines : chez Airbus, Air France, Nokia, Renault... L’aéronautique et l’automobile figurent notamment parmi les secteurs les plus impactés, avec déjà des milliers de licenciements annoncés et, au-delà, les travailleurs précaires et intérimaires paient déjà lourdement les conséquences de la crise. Comme le précise le journal Le Monde : « selon un nouveau décompte publié par la Dares – la direction des études du ministère du travail – ce mercredi 8 juillet, quinze plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été annoncés dans la semaine du 1er juin, dix-neuf celle du 8 juin et depuis, c’est une trentaine par semaine ».
Mais si Laurent Berger a affirmé que « la priorité aujourd’hui, c’est l’emploi », les propositions faites par la direction de la CFDT sont loin d’être à la hauteur de la crise économique, du chômage de masse et des licenciement. Ainsi mercredi 8 juillet Le Monde publiait une tribune cosigné par Laurent Berger et Louis Gallois – ancien patron d’Airbus et haut-fonctionnaire – proposant d’étendre les aides publiques pour lutter contre le chômage et créer des emplois dans le secteur de l’Economie Sociale et Solidaires, sans remettre à aucun moment en cause les profits des grands patrons. Or c’est pourtant de cela qu’il s’agit lorsqu’on prend typiquement l’exemple de Renault qui a encaissé 20 milliards d’euros de trésorerie en dix ans et qui annonce aujourd’hui près de 5.000 licenciements en France et 15.000 dans le monde. Idem pour Airfrance, Airbus ou Sanofi qui ont profité des aides publiques tels que le CICE ou des prêts garantis par l’État pendant des années et qui annoncent aujourd’hui des plans de licenciement massifs.

Face à la crise et aux risques d’explosions sociales, le patron du MEDEF, Geoffroy Roux de Béziers qui a également rencontré Jean Castex ce jeudi, préfère également ajourner la question pour en discuter « à la rentrée, mais avec des chiffres » sur le déficit du système de retraite. A l’hiver dernier, le gouvernement avait en effet dû compter sur l’appui de la CFDT pour réussir à imposer sa réforme malgré le rejet du texte par plus de 60% de la population et la grève reconductible massive dans les transports à la SNCF et la RATP. Sans cet appui et vu l’approfondissement de la défiance des classes populaires vis-à-vis de la macronie lors de la crise sanitaire, mener une réforme aussi clivante apparaît risqué pour un secteur des classes dominantes qui souhaite le retour à l’ordre. En accord avec le principe proposé par le leader cédétiste des aides publiques pour les entreprises, le MEDEF reste toutefois sur les starting-blocks pour profiter des vacances en imposant des attaques contre les travailleurs et les classes populaires. En ce sens Geoffroy Roux de Bézieux a annoncé que des annonces sur la réforme de l’assurance-chômage seraient faites « la semaine prochaine », et continue de demander le report du bonus-malus, un dispositif pénalisant les entreprises qui multiplient les contrats courts.

Yves Veyrier salue « un signal positif »

Yves Veyrier (FO) a également salué le retour du dialogue social mis en scène avec le nouveau gouvernement, tirant sa révérence à Jean Castex en ces termes : « Le Premier ministre, à peine nommé, a pris la peine de rencontrer tous les interlocuteurs sociaux. Cela ne peut être que souligné ». Et comme son homologue de la CFDT, le secrétaire général du syndicat FO a également déclaré que « ce n’est pas vraiment le moment » de remettre le dossier des retraites sur la table. Cependant s’il a également affirmé que pour lui il n’est « pas question » d’avoir « des mesures d’âge », et proposé de « réorienter » une partie des 140 milliards d’euros d’aides publiques destinés aux entreprises pour combler le déficit du système de retraite estimé à 2,9 milliards d’euros en 2018 par le COR, il ne ferme pas complètement la porte au cœur de la réforme mise sur pied par le gouvernement, à savoir le système par point. Or avec la crise économique et la récession historique, ce dispositif qui indexe la valeur des pensions de retraites sur le PIB aura un impact désastreux pour les classes populaires.

Philippe Martinez « attend des actes », la CGT appelle à la grève le 17 septembre

De son côté Philippe Martinez martelait la veille sur BFM TV : « L’urgence c’est l’emploi. […] On a une première vague de licenciements, de restructurations. Et celle qui s’apprête à venir en septembre sera pire », avant d’évoquer la nécessité d’une revalorisation salariale pour « les premiers de corvée », via une revalorisation du SMIC. A la sortie de la rencontre avec Jean Castex, le dirigeant syndical a affirmé que ce qui est « irresponsable », ce serait « de ne pas traiter les questions d’emploi et de bas salaires dans la période ». Et si le secrétaire général de la CGT est d’abord resté dans l’expectative, déclarant au sujet du nouveau premier ministre que « il était attentif à nos propos mais la confiance ça se gagne, on jugera aux actes », une heure après la confédération a lancé un appel à faire du 17 septembre une journée de grève, d ’actions et de manifestations, jugeant que « après la rencontre avec le premier ministre, toujours rien de concret pour l’emploi et les salaires ».

Il n’y avait cependant pas à attendre cette rencontre pour comprendre la nature du nouveau gouvernement. En effet, il suffit de voir sa composition avec de nombreux ministre issus de la droite à l’instar de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, ou des velléités d’Emmanuel Macron pour remettre sur la table la réforme des retraites, pour comprendre qu’il n’y a rien à attendre de ce gouvernement.

En ce sens, les mises en garde formulées tous azimut par les directions syndicales quant à la relance de la réforme des retraites – « discuter des retraites, cela n’est pas la priorité » - masquent mal la caution pour le gouvernement que représente leur participation aux concertations et négociations à Matignon, et la légitimité qu’elles lui confèrent.

« On continue comme avant. Le dialogue et la concertation on en parlait avant aussi » pointait d’ailleurs Philippe Martinez ce mercredi sur BFM TV. Mais justement : quel bilan tirer du maintien du dialogue lors de la réforme des retraites, si ce n’est le passage en force du gouvernement avec le 49.3 ? Qu’ont donné les rencontres à l’Élysée pendant le confinement ? Le gouvernement a tout bonnement refusé la fermeture des entreprises non-essentielles au mépris des risques sanitaires encourus par les salariés, avant de mettre sur pied une politique de relance pro-patronale que le dirigeant de la CGT n’a pu lui-même que dénoncer.

La participation au « dialogue social » est d’autant plus dangereux pour les travailleurs que face à la crise, le gouvernement souhaite imposer aux salariés un « esprit de responsabilité » pour mieux s’en prendre aux acquis sociaux. En effet les APC (accords de performance collective) par exemple, l’un des dispositifs de « flexibilisation » utilisés pour licencier, supposent des accords locaux pour remettre en cause salaire, conditions de travail et temps de travail. En pleine crise de confiance dans le personnel politique en poste, c’est donc pour négocier le prix de la crise que devront payer les travailleurs que le gouvernement sollicite les directions syndicales. Une politique dans laquelle certains syndicats n’ont d’ailleurs déjà pas hésité à se lancer, à l’image de Force Ouvrière chez Derichebourg, qui a choisi de négocier le « poids des chaînes » malgré l’opposition d’une grande partie des salariés.

Car la combativité et la disposition à se battre ne sont pas absentes chez les travailleurs, comme le démontrent les mobilisations dans l’aéronautique marquées mercredi par une journée de manifestation à l’appel de FO ce 8 juillet, suivie aujourd’hui d’une manifestation appelée par la CGT dans la grande distribution et le commerce ce 9 juillet, ou encore la manifestation des travailleurs de Nokia mobilisés contre le plan de licenciements. Ce qui manque en revanche c’est bien un plan de bataille national à la hauteur. Car de la santé à l’aéronautique en passant par la grande distribution, chaque secteur est appelé à se mobiliser de manière indépendante, et cette division apparaît rien moins que coupable dans un contexte aussi brûlant. De même l’absence d’unité d’action entre syndicats pèse lourd.

Or, seul le rapport de force permettra aux travailleurs de ne pas payer la crise et d’imposer le refus des licenciements. Plutôt que d’une union syndicale pour se rendre dans les salons de Matignon, c’est d’un plan de bataille à la hauteur que nous avons besoin pour commencer à construire le monde d’après ! C’est en ce sens qu’il faut faire du 17 septembre un point d’appui pour construire un plan de bataille pour une mobilisation générale contre ce gouvernement qui veut faire payer la crise aux travailleurs et aux classes populaires.

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Mis à jour le dimanche 24 mars 2024