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FN : « derrière le lifting, les traits du père »


Entretien. Historien, Jean-Paul Gautier est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’extrême droite. Son dernier livre, De Le Pen à Le Pen. Continuités et ruptures, est sorti il y a quelques jours... et tombe en pleine actualité. Une raison de plus de le rencontrer.

En quoi le FN a-t-il changé depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa direction ?

Du congrès de Tours (2011 ) au congrès de Lyon (2014), Marine Le Pen a pris la direction du FN et a imposé son autorité en s’appuyant sur une équipe qui lui est totalement dévouée : Aliot, Briois, Bay, Philippot… Elle a entrepris une politique dite de « dédiabolisation » (en opposition à son père). Elle a lissé le vocabulaire frontiste, voulant apparaître crédible, et s’est affirmée candidate à la gestion du pays : « je veux le pouvoir pour changer les choses (…). pour redresser la France ». Le FN a toujours fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et d’opportunisme, développant un programme à géométrie variable, passant d’un libéralisme pro reaganien à un étatisme revendiqué. Aliot déclare : « le FN essaie de s’adapter aux réalités du terrain »...

L’accession de Marine Le Pen à la présidence du FN coïncide avec une inversion des performances électorales. En 2002, Jean-Marie Le Pen n’avait tiré aucun profit de sa qualification pour le deuxième tour de l’élection présidentielle. Avec Marine Le Pen, le FN a enregistré des scores jamais atteints depuis sa création en 1972 : cantonales 2011, présidentielle et législatives de 2012, municipales, européennes et sénatoriales en 2014 et même lors des récentes départementales. Marine Le Pen a enclenché une double dynamique : s’efforcer d’effacer l’étiquette d’extrême droite et d’antisémite (les dernières saillies de Jean-Marie Le Pen et les tensions actuelles que connaît le mouvement), et tenter de se forger une image respectable, « républicainement compatible ». Elle déclare à Valeurs actuelles en juin 2014 : « je me suis battue avant même mon élection à la présidence du mouvement pour que le Front national devienne un parti de gouvernement ». Elle suit en cela la ligne défendue dans le passé par Mégret lorsqu’il était n°2 du mouvement.

Le programme du FN a-t-il changé entre le père et la fille ?

Même si la terminologie change, les fondamentaux restent. Ainsi, ce qui constitue l’ADN frontiste : « la préférence nationale » rebaptisée « priorité nationale » , terme moins connoté mais qui pour le FN reste « non négociable ». Dans les cortèges, les manifestants ne scandent plus « la France aux Français », slogan typique de l’extrême droite, mais « On est chez nous ». En ce qui concerne l’immigration, il ne s’agit plus, comme à l’époque de Stirbois de renvoyer « les immigrés d’au-delà de la Méditerranée dans leurs gourbis » mais « d’organiser le retour chez eux des immigrés du tiers monde ». En effet pour le fondateur du FN comme pour l’actuelle présidente, la France est menacée par les quatre I : « immigration, insécurité, islamisme, imposition », auxquels s’ajoute la défense de l’identité, la défense des « Français de souche ». Le FN, lepéniste ou mariniste, reste durablement un vecteur important de la xénophobie, et Marine Le Pen se situe donc dans la continuité frontiste des origines. De même, le FN maintient son opposition totale à l’ UE, « l’arnaque européenne, agent de démantèlement des nations, Union soviétique européenne, créature de Frankenstein qui a mis la France sous tutelle », et stigmatise le mondialisme comme vecteur du communautarisme : « la mondialisation, c’est I’ alignement sur le moins disant social, la dilution de nos valeurs de civilisation ». Il y a donc des « intérêts communs entre mondialisme et islamisme »...

Dans un certain nombre de domaines, le FN a « évolué ». Marine Le Pen veut accentuer sa « fibre sociale » et s’adresser aux « invisibles et aux oubliés » (précaires, ouvriers, employés…) abandonnés par des « élites incapables et corrompues ». S’occuper « des vraies questions qui préoccupent les Français (chômage, pouvoir d’achat, insécurité, immigration, islamisation) ». Marine Le Pen se considère comme le porte-drapeau de la laïcité. Dans la pratique, sa conception de la laïcité est une machine de guerre anti-musulmane. Elle a une lecture très personnelle du triptyque républicain. Au nom des valeurs de la République, elle dénonce l’islam « une religion de l’invasion, incompatible avec la laïcité, la démocratie, et liant étroitement la sphère publique et la sphère privée ( religieuse) ». Cette dénonciation « du péril islamique » permet au FN de dénoncer l’immigration d’une façon censée être plus acceptable. On assiste à un renversement complet d’argumentation à propos de l’islam. Sous le règne de J-M Le Pen, les musulmans sont stigmatisées comme les étrangers qui prennent le travail des Français et qui sapent la culture chrétienne multiséculaire (d’où les références à Clovis et Jeanne d’Arc). Avec Marine Le Pen, cette dialectique est abandonnée au profit d’une nouvelle : l’islam représente un danger réel, une menace pour la laïcité et pour la République. En fait, elle est partie en croisade et développe une vision très manichéenne du monde. Le musulman, c’est le Sarrasin. Elle joue ainsi sur deux tableaux : en direction des traditionalistes en défendant la chrétienté, et en direction des progressistes en prétendant défendre les homosexuels, les droits des femmes (Marine Le Pen est opposée au remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale) en dénonçant le sexisme, et l’abattage rituel hallal. La dénonciation de l’islam sert dans les faits à exclure de la nation et de la République tous les musulmans de France. Comme Mégret, elle dénonce « une immigration-invasion ». Le FN a ouvert un nouveau fond de commerce : l’islamisation, même si l’immigration reste toujours un marqueur du discours frontiste. Elle est parvenue à tisser un lien entre immigration, islamisme et insécurité. Le même type de thématique est présent dans l’ensemble de l’extrême droite européenne. Dans la foulée, Marine Le Pen considère que les changements au Proche et Moyen-Orient (Irak, Libye, Printemps arabes) représentent un réel danger pour la France et pour l’ Europe, car ils vont entraîner une montée de l’islamisme radical dans ces régions et « une déferlante immigrés-musulmans ». Elle soutient le régime syrien, verrou contre « les terroristes islamistes ». Peu lui importe l’évolution réelle de la situation politique dans le monde musulman. Ce qui compte à ses yeux, c’est l’impact de ces événements sur la population et la situation en Europe.

En politique étrangère, par rapport à Israël, Marine Le Pen appartient au courant pro-sioniste de l’extrême droite. Elle donne régulièrement des interviews à des organes de presse (Israël Magazine, Haaretz…) et a rencontré dernièrement à New York Ehud Barak (ex-Premier ministre d’Israël) qui l’a félicitée « pour son action », rencontre non officielle mais qui peut toujours servir… Elle affirme que « les juifs n’ont rien à craindre du Front national » et le FN « est sans doute dans l’avenir le meilleur bouclier pour vous protéger , il se trouve à vos côtés (…) face au seul vrai ennemi, le fondamentaliste islamiste ». Elle doit donc se débarrasser des scories antisémites que traîne le Front national et qui représentent un double verrou : à la fois par rapport à Israël (Marine Le Pen est à la recherche d’une invitation officielle par l’État hébreu) et pour sa politique de dédiabolisation. Ceci explique la rupture avec son père, coutumier des déclarations antisémites (dans les années 50 contre Mendès-France, puis l’affaire du « détail » et des chambres à gaz, « la fournée » et les récentes déclarations dans les colonne de Rivarol). Certains membres de son entourage entretiennent des liens avec la LDJ. L’antisémitisme a cédé la place à un anti-islamisme face au nouveau danger d’un « antisémitisme islamique ».

Comment analyses-tu la dernière crise entre le père et la fille ?

J-M Le Pen est rompu au jeu de la récidive. Il a été condamné 18 fois, dont 9 pour « apologie de crimes de guerre ». Pour sa dernière provocation, il a choisi Rivarol, ce qui n’est pas anodin. Fondé en 1951 par Malliavin et Gaït (ancien directeur de cabinet de Bonnard, ministre de l’ Éducation dans le gouvernement de Pétain), c’est la plus ancienne publication d’ extrême droite et le lieu de rencontre des diverses tendances de l’extrême droite (pétainiste, négationniste, Algérie française, identitaire, antisémite, catholique intégriste, complotiste, supporter de Dieudonné…). Ses colonnes sont un véritable catalogue idéologique de l’extrême droite. J-M Le Pen a été interviewé par Bourbon (proche de l’ Œuvre française) et Spieler (ex-député frontiste et dirigeant d’un groupuscule, la Nouvelle droite populaire). Tous deux ont soutenu Gollnisch lorsqu’il était candidat à la présidence du FN et sont des anti-marinistes virulents. Bourbon qualifie Marine Le Pen de « gourgandine » entourée d’une bande « d’invertis notoires, d’arrivistes et d’enjuivés ». Comme J-M Le Pen , il est opposé à la stratégie de dédiabolisation. Rivarol se montre donc très accueillant vis-à-vis du fondateur du FN.

La réaction de Marine Le Pen ne s’est pas fait attendre. Elle dénonce « la stratégie de terre brûlée, le suicide et l’irresponsabilité politiques » de son père. Une fois de plus, J-M Le Pen tente de gripper la mécanique mariniste. Ses propos ont peu d’impact sur les nouveaux adhérents du FN-RBM (Rassemblement Bleu Marine). Sanctionné par le Bureau exécutif , J-M Le Pen a perdu son titre de Président d’honneur et a été suspendu du mouvement (certains y voient la main de Philippot qui n’a pas que des amis au FN…). La marginalisation de J-M Le Pen a de nombreux avantages pour le « nouveau FN » : effacer une bonne fois pour toutes l’étiquette antisémite et négationniste et devenir ainsi de plus en plus respectable (les sondages semblent ainsi donner raison à Marine Le Pen). Ces tensions dépassent largement des bisbilles entre celui qui se considère toujours comme le propriétaire de la PME frontiste et sa gérante. Elles traduisent l’opposition entre deux stratégies (diabolisation vs dédiabolisation). Marine Le Pen se place dans l’optique de l’arrivée au pouvoir en 2017, ce qui n’a jamais été le cas de son père qui préfère les tribunes parlementaires et se drape dans une attitude protestataire.

Y-a-t-il des tendances au FN ?

On ne peut pas parler de tendances. Différentes sensibilités apparaissent : des nationaux républicains étatistes (Philippot), contre des libéraux conservateurs (Marion Maréchal-Le Pen) ; des jacobins (Marine Le Pen, Aliot , Philippot) contre des régionalistes (les identitaires) ; les « laïcards » (Aliot, Marine Le Pen) contre des nationaux catholiques (Gollnisch) ; les défenseurs de « l’immigration raisonnée » contre les adeptes du « Grand remplacement » (Chauprade favorable aux théories de Renaud Camus) ; les sionistes (Aliot, Marine Le Pen) contre les pro-palestiniens (Gollnisch et les ex du GUD).

Certains « observateurs de la vie politiques » insistent sur « le discours de gauche » du FN et y voient par exemple un copié-collé du discours du Front de gauche. Je pense qu’il est nécessaire de remettre les pendules à l’heure. Le discours du Front de gauche, comme celui du NPA, défend les immigrés, les syndicats, est fondamentalement opposés à la préférence nationale, à la xénophobie, à l’antisémitisme et au capitalisme. Aux antipodes du programme frontiste. Dernière remarque, quand le FN veut nationaliser certains secteurs de l’économie, la même petite musique est jouée : c’est une mesure de gauche. Certes, c’est une vieille revendication d’une certaine gauche, mais il ne faut pas aussi oublier qu’ à la Libération , le GPRF (Gouvernement provisoire de la République) a appliqué le programme du Conseil national de la Résistance et était dirigé par De Gaulle. Quant à l’ État fort, il me semble que De Gaulle l’a mis en pratique. C’est peut-être pour cela que Philippot a la fibre gaulliste…

« Tête haute , mains propres », scandait il y a peu le FN à propos des « affaires ». Il est donc devenu membre du club des « Tous pourris » ?

Pour passer de la théorie à la pratique, la marche est parfois haute. Les ex-GUDards qui tiennent les cordons de la bourse font l’objet de poursuites judiciaires pour surfacturation des kits de campagne. C’est le cas de Chatillon (ancien patron musclé du GUD) et de sa société Riwal, et de Loustau (patron de boites de sécurité) et trésorier de « Jeanne », le micro-parti de Marine Le Pen. Chatillon a été mis en examen pour « faux et usage de faux, escroquerie et financement illégal de parti politique ». Quant à son compère Loustau, il a été mis en examen pour « escroquerie » et la liste n’est pas terminée. Jean-Marie Le Pen n’est pas en reste. Comme le souligne le Canard enchaîné, Le Pen applique le programme du FN : il quitte la zone euro pour la Suisse. Le FN se trouve aussi empêtré dans une affaire d’attachés parlementaires à Strasbourg qui dans les faits étaient employés par le parti. Le FN donne à son tour dans les emplois fictifs. Marine Le Pen et les ex-GUDards sont « copains comme coquins »...

Le sous-titre de ton livre est « continuités et ruptures ». Pourquoi ?

L’idée était de montrer, en particulier à travers une analyse du programme du FN s’il y a des véritables changements de fond et si la qualification de « nouveau FN » est pertinente, ou s’il s’agit d’un simple ripolinage de la façade, l’arrière-boutique restant inchangée. Si l’on met les deux termes dans la balance, force est de constater qu’ elle penche du côté des continuités (maintien des fondamentaux frontistes). Père et fille sont sur la même longueur d’onde. Certaines ruptures peuvent apparaître marginales et peuvent évoluer en fonction de la situation économique du pays. Deux ruptures me semblent fondamentales : la volonté affichée par la présidente d’arriver au pouvoir, et surtout la disparition d’une thématique antisémite et négationniste. C’est vraiment le verrou idéologique qu’il fallait faire sauter pour mener à bien la « dédiabolisation ». C’est là la véritable rupture avec le FN historique. Aliot l’a déclaré à l’historienne Valérie Igounet : « la dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme (… ). A partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique vous libérez le reste ».

La chirurgie esthétique est une chose délicate, et derrière le lifting apparaissent à bien des égards les traits du père.

Propos recueillis par la commission nationale antifasciste du NPA

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Mis à jour le dimanche 21 avril 2024