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Réforme des collèges, une étape dans la bataille

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Dans les manifestations du 19 mai 2015. Photothèque Rouge / JMB

Quelques heures seulement après les manifestations du 19 mai, le gouvernement a fait publier à la sauvette l’arrêté et le décret de la réforme du collège. Ce coup bas ne met pas fin pour autant à une bataille à travers laquelle vont se révéler les enjeux cruciaux des réformes en cours dans l’Education.

Le gouvernement espère par ce coup de force désamorcer le mouvement qui s’est affirmé, même encore timidement, le 19 mai. Sans doute la mobilisation n’a-t-elle pas été aussi importante que nous l’aurions souhaité. Les médias ont insisté sur la faiblesse des manifestations, « mobilisation en demi-teinte » selon Les Echos¸ sans préciser que le secondaire seul était appelé à la grève, et exclusivement contre la réforme du collège. Là, le taux de grévistes a été important, 50 % en moyenne selon les comptes, fiables, du SNES-FSU. Les manifestations n’ont pas été négligeables non plus, bien au-delà en tous les cas de la participation des seuls militants et elles comptaient par ailleurs parfois dans leurs rangs quelques enseignants du premier degré en lutte, en particulier contre les fermetures de classe, et des professeurs de lycée.

Les médias ont souligné sur un ton quelque peu moqueur la forte présence de professeurs de langues anciennes et d’allemand en tant que tels. Mais n’est-il pas naturel que ceux-ci défendent, avec la possibilité de continuer à enseigner ce pour quoi ils se sont formés, leurs postes et leurs conditions de travail ? Au moins ont-ils manifesté la conscience que la suppression du latin et du grec en tant que disciplines ou des classes bi-langues n’avait qu’un seul objectif, la réduction des postes et les restrictions budgétaires. Avec comme conséquence pour les élèves, une réduction de l’offre d’enseignement qui leur est proposée.

La presse, les commentateurs ou intellectuels qui ont analysé et critiqué la réforme ont surtout mis l’accent sur cet aspect-là, approuvant ou critiquant la caractérisation d’« élitiste » que le gouvernement avait donné à ces options pour mieux les supprimer. Même la droite s’y est mise, alors que maintenant, elle tombe le masque en dévoilant des programmes pour l’éducation où figure – c’est le cas par exemple de celui défendu par Bruno Le Maire de l’UMP – la suppression de la deuxième langue vivante au collège.

Les professeurs de musique et d’arts plastiques auraient des raisons particulières, eux aussi, de se mobiliser – et beaucoup l’ont fait – parce que la réforme prévoit que leurs disciplines seront regroupées dans un pôle de deux heures, chacune des deux pouvant être enseignée sur un semestre, six mois de musique pendant deux heures par exemple, s’il se trouve que le prof d’arts plastiques n’a pas encore été nommé… Ou les professeurs de technologie, physique-chimie, SVT dont les disciplines vont constituer un bloc de 4 heures en 6e qui pourront être assurées, on peut l’imaginer, par l’un ou l’autre de ces enseignants au gré des besoins et surtout du manque de profs.

C’est bien, de la part du gouvernement, une volonté de trouver les moyens de grappiller des postes par ci par là pour en réduire le nombre, et cela n’a pas échappé aux enseignants qui, depuis des années, subissent l’alourdissement de leur charge de travail quand, alors que les effectifs sont en hausse constante, ils doivent assurer les cours dans un nombre de plus en plus important de classes.

Alors oui, il faudrait le dire clair et net : « ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une nouvelle réforme, mais de moyens » et affirmer par là que nous ne sommes pas dupes des « pseudo » – dirait peut-être Najat Vallaud Belkacem – intentions pédagogiques du gouvernement.

Nouvelle déréglementation en vue

Très rares ont été les analyses, dans la presse ou chez les politiques, qui sont allées au-delà, jusqu’au cœur de la réforme, qui introduit, sur 20 % des horaires autrefois dédiés à une discipline, des activités – enseignements pluridisciplinaires ou accompagnement personnalisé – dont le contenu et la forme seront décidés au niveau de chaque établissement. C’est cet aspect de la réforme qui ouvre de nouvelles possibilités de dérèglementation en sapant le caractère national de l’éducation et aggrave les inégalités entre les différents établissements scolaires et élèves. Concrètement, tous les élèves ne bénéficieront pas des mêmes enseignements, et cela d’autant plus que les nouveaux programmes sont conçus non plus par niveau mais par cycle (pour le cycle 4, par exemple, qui associe 5e, 4e et 3e).

Les enseignants en collège seront ainsi invités à définir des objectifs à la fin de la 3e, qui plus est en termes de compétences seulement et non plus de connaissances. Ainsi pourrait disparaître, pour l’ensemble des élèves du moins, la possibilité d’acquérir une culture, une compréhension du passé comme du monde qui les entoure. Cette conception de l’école, « école du socle », reproduit les modèles chers aux patronats européens dont le seul souci est d’avoir une main-d’œuvre maîtrisant les « fondamentaux » et les nouvelles technologies tout en étant docile parce que moins cultivée, moins capable de se défendre.

Avec la réforme du statut, les nouvelles obligations de service définies par un décret en août 2014, entre autres l’obligation de participer aux réunions et évaluations qui ont lieu dans l’établissement, les enseignants, dans les textes du moins, n’auront aucun moyen de se soustraire à l’autorité des chefs d’établissement qui sont aujourd’hui, par ailleurs, formés aux techniques de management du privé.

La dernière pièce du puzzle

La loi LRU avait mis en œuvre l’autonomie des universités, la réforme Chatel dans les lycées puis celle des rythmes scolaires ont contribué à territorialiser l’éducation : cette autonomie, la territorialisation de l’école, c’est le préalable à une école à deux vitesses, le minimum pour les plus pauvres, « école du socle » jusqu’en 3e, universités et lycées de seconde zone et le meilleur pour les plus riches qui de toute façon pourront compléter leur formation en faisant appel au privé. La réforme du collège est la dernière pièce du puzzle qui achèverait la libéralisation, ou plutôt la liquidation, de l’école engagée depuis 30 ans.

C’est dire l’importance de la mobilisation et à quel point elle peut être un révélateur des politiques menées depuis 30 ans par la gauche ou par la droite et de la nécessité de construire un mouvement qui ne craigne pas d’affronter le gouvernement.

Des premières lois de décentralisation sous Mitterrand en 1982 et 83, au « il faut dégraisser le mammouth » de Claude Allègre en juin 1997, de la loi Pécresse sur l’autonomie des universités à la réforme Chatel du lycée sous Sarkozy en 2010 et la loi de refondation de l’école de Peillon en 2013, et maintenant Najat Vallaud-Belkacem, tous les ministres qui se sont succédé se sont employés à saper, morceau après morceau, non seulement le service public de l’éducation mais également, et cela va ensemble, le statut des enseignants, et plus généralement de la fonction publique.

Un enjeu de société, une bataille politique

Dans cette première phase de la bataille, alors que les critiques contre la réforme se bornaient à ne dénoncer que la suppression du latin, du grec et des classes bilangues, la droite et l’extrême droite se sont très vite affirmées contre le projet du gouvernement, ce qui a provoqué un malaise parmi de nombreux enseignants qui n’avaient pas envie de voir leur mécontentement instrumentalisé. Le gouvernement a d’ailleurs utilisé cette situation pour exercer une forte pression et un chantage cynique sur les enseignants, accusés implicitement de conservatisme. Hollande s’en est pris au « concert des immobiles ». « Ceux qui voudraient, a-t-il dit lors de sa visite dans un collège des Mureaux, que rien ne change. Ce sont souvent les plus bruyants, ceux qui, au nom de l’intérêt général supposé, défendent leurs intérêts particuliers. Non ! C’est terminé ». Vallaud-Belkacem a dénoncé « la coalition des approximations, postures et conservatismes réunis. » Ensuite, lorsque la réforme a été mieux connue et comprise, chacun à droite et à l’extrême droite s’est positionné en définissant sa conception du collège. Une sorte de précampagne présidentielle. Bruno Le Maire a donné sa vision, puis Marine Le Pen, puis Sarkozy. Ils se rejoignent sur une conception du collège qui représenterait un énorme recul : rejet de la pluridisciplinarité, fin du collège unique, accent mis sur les « fondamentaux », avec pour Le Maire la suppression de la deuxième langue, sélection plus précoce avec la réintroduction de l’enseignement professionnel ou de l’apprentissage avant 16 ans, dès le collège. A l’opposé de ce que pensent un très grand nombre d’enseignants qui ne refusent pas la pluridisciplinarité par principe et ont bien vu qu’aucun de ces « opposants à la réforme » ne dénonçaient le fait qu’elle permettra de réduire les postes et les budgets.

Alors, cette intervention de la droite peut certes être un atout pour le gouvernement, lui servir d’épouvantail tant les mesures qu’elle préconise sont réactionnaires, mais elle éclaire aussi les enjeux de la bataille en montrant le sort que le droite réserve à l’éducation dans les années qui viennent. Mais cela ne rend pas la réforme du gouvernement plus progressiste. Ce qui apparaît de plus en plus clairement, derrière la politique des uns et des autres, c’est la même préoccupation, saper le service public et le statut des enseignants pour réduire au maximum les dépenses utiles à la population mais considérées comme « improductives » par les gouvernements et le patronat. Il n’y a pas d’autre choix, pour défendre une école qui ait une ambition émancipatrice, permettre l’accès de toutes et tous à la culture, former des personnalités capables de réflexion et d’esprit critique, que de se battre contre la politique du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite.

Il est difficile de dire aujourd’hui sous quelle forme et à quel rythme va se poursuivre le mouvement. Les syndicats avaient accompagné cette réforme-là comme les précédentes et n’ont quitté la table des négociations le 31 mars que parce qu’ils ont senti monter le mécontentement des militants contre le projet du gouvernement. Ils n’ont rompu, d’autre part, aucune autre concertation, en particulier sur les programmes. A ce jour, ils n’ont donné aucune suite au 19 mai, se contentant dans leur communiqué commun de « mettre en débat une journée de grève nationale en juin ».

Quoi qu’il en soit, le mouvement et son issue dépendent avant tout de la capacité de celles et ceux qui y sont déjà engagés, syndicalistes ou non, de tisser des liens démocratiques, d’aider à la constitution d’équipes militantes contre la réforme qui s’emploient à faire comprendre celle-ci et les enjeux de société qu’elle recouvre, qui soient capables de gagner à ce combat leurs collègues et les parents d’élèves, qui exercent leur pression sur les organisations syndicales, qui se donnent les moyens de contrôler démocratiquement leurs luttes.

Galia Trépère

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Mis à jour le samedi 13 avril 2024