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COP21 : en dépit du spectacle, le verre est vide à 80%

Crédit Photo : NPA Jeunes

La COP21 a, comme prévu, débouché sur un accord. Celui-ci entrera en vigueur à partir de 2020 s’il est ratifié par 55 des pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques et que ces 55 pays totalisent au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Au vu des positions prises à Paris, cette double condition ne devrait pas soulever de difficulté (mais la non-ratification de Kyoto par les Etats-Unis montre que des surprises sont toujours possibles…).

« Bien au-dessous de 2°C » : comment ?

L’accord fixe pour objectif de maintenir la hausse moyenne de température « bien au-dessous de 2°C par rapport aux niveaux pré-industriels et de poursuivre les efforts pour limiter la hausse de température à 1,5°C au-dessus de ces niveaux, en reconnaissant que cela réduirait considérablement les risques du changement climatique ».

En outre, le texte affirme sa volonté d’atteindre ces objectifs dans le respect du principe des responsabilités communes mais différenciées, des droits humains, du droit à la santé, du droit au développement, des droits des peuples indigènes, des droits des personnes handicapées et des enfants, de l’égalité de genre, en promouvant « l’empowerment » des femmes ainsi que la solidarité intergénérationnelle, en actant l’importance d’une « transition juste » pour le monde du travail et en tenant compte des capacités respectives des pays…

On ne peut évidemment qu’adhérer à ces prises de position principielles, mais le texte adopté par les 195 pays représentés à la COP ne donne aucune garantie qu’elles seront suivies d’effet. De plus, et surtout, il reste totalement imprécis quant aux échéances à respecter pour que les objectifs climatiques soient atteints : il se contente de dire que « les parties visent à atteindre un pic mondial dans les émissions aussi vite que possible et à entreprendre ensuite de rapides réductions des émissions conformément à la meilleure science disponible, afin d’atteindre dans la seconde moitié du siècle un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions par les puits de gaz à effet de serre ». Or, l’année du pic, le rythme annuel des réductions globales d’émission après ce pic et le moment précis entre 2050 et 2100 où l’équilibre global émissions/absorptions est réalisé conditionnent la stabilisation du réchauffement à tel ou tel niveau.

« Concilier l’inconciliable » ?

Prenant la parole devant la plénière des participants, le 12 décembre, le président François Hollande s’est réjoui du fait que la conférence soit parvenue à « concilier ce qui (paraissait) inconciliable » en adoptant un document « à la fois ambitieux et réaliste ». « L’accord décisif pour la planète, c’est maintenant », a-t-il conclu. S’exprimant avant lui en tant que Président de cette COP, son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est félicité d’un résultat représentant « le meilleur équilibre possible ».

La Convention cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique date de 1992. Elle n’ accouché que d’une tentative très insuffisante : le Protocole de Kyoto. Cela fait des années que le défi climatique contribue de façon croissante à miner la légitimité du capitalisme et la crédibilité de ses gestionnaires politiques. Dans le sillage de la COP de Paris, il est d’ores et déjà évident que nous allons être confrontés à une très vaste contre-offensive visant à propager l’idée que le système, contrairement à ce qui a été dit, est capable d’endiguer la catastrophe qu’il a créée, et que les gouvernements à son service sont à la hauteur de la situation.

Celles et ceux qui ne croient pas à la possibilité d’un capitalisme vert, qui ne croient pas en particulier à la possibilité de sauver le climat sans remettre en question la tendance fondamentale du système à la croissance, ont donc intérêt à examiner l’accord de Paris sous cet angle-là : oui ou non la COP21 a-t-elle « concilié l’inconciliable » ? Le présent article porte principalement là-dessus. Nous reviendrons ultérieurement sur d’autres aspects de l’accord, tels que l’adaptation, le soutien aux pays du Sud, etc.

Alors, qu’en est-il ? Paris a-t-il donné tort aux affreux grincheux pessimistes et écosocialistes ? La réponse à cette question est « non » à au moins 80%. Pourquoi « à 80% » ? Parce que, sur base des propres expertises du secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur les Changements climatiques (CCNUCC), on peut affirmer qu’un cinquième à peine du chemin pour rester sous 2°C de réchauffement a été fait (et encore : seulement sur papier !). Autrement dit, on n’est pas dans le cas du verre à moitié plein et à moitié vide : le verre de la COP21 est vide à quatre cinquièmes, au moins. Fondamentalement, la catastrophe climatique continue, la preuve que les choses réputées inconciliables peuvent être conciliées n’a pas été apportée. Expliquons-nous.

Entre l’accord et les INDC

Il y a deux éléments dans la négociation : le texte adopté à Paris, d’une part, et les projets de « plans climat » que chaque pays participant à la conférence a adoptés et transmis au Secrétariat de la CCNUCC en vue de la COP, d’autre part. Dans le jargon des négociateurs, ces projets de plan climat sont désignées par l’acronyme anglais INDC (pour « Intended Nationally Determined Contributions » – intentions nationalement déterminées de contribution au sauvetage du climat). Le texte adopté à Paris pose certes l’objectif d’un réchauffement inférieur à 2°C, le plus près possible de 1,5°C. Mais les INDC – qui portent jusqu’à l’échéance 2025 ou 2030- sont bien loin d’atteindre cet objectif : selon les estimations qui en ont été faites, leur effet cumulé serait de nous entraîner vers un réchauffement catastrophique de 3°C environ.

Cette contradiction entre les déclarations d’intention de l’accord et la réalité des plans climat des pays signataires de l’accord n’est pas un secret. La motion adoptée à Paris (en même temps que l’accord proprement dit), “(insiste) avec une sérieuse préoccupation sur le besoin urgent de s’attaquer au fossé significatif entre l’effet agrégé des promesses de mitigation des Parties en termes d’émissions mondiales annuelles de gaz à effet de serre d’ici 2020 (d’une part), et les trajectoires d’émission cumulées conformes avec l’objectif de maintenir la hausse de la température moyenne du globe bien au-dessous de 2°C et de poursuivre l’effort pour limiter la hausse de température à 1,5°C (d’autre part). »

Ce fossé entre l’effet cumulé des INDC et l’objectif des 1,5 à 2°C adopté à Paris a été étudié par le groupe de travail ad hoc mis sur pied lors de la COP de Durban afin de plancher sur les moyens de rehausser le niveau d’ambition de la politique climatique (Ad Hoc Working Group on the Durban Platform for Enhanced Action). Le 30 octobre 2015, dans le cadre de la préparation de la CO21, ce groupe de travail a remis un rapport détaillé au Secrétariat de la CCNUCC.

Dans ce texte, la somme des émissions INDC aux échéances 2025 et 2030 est comparée aux émissions « business as usual », d’une part, et, d’autre part, à (des variantes de) la trajectoire de réduction des émissions globales qui devrait être suivie, selon le GIEC, pour avoir 66% de probabilité de maintenir le réchauffement sous les 2°C « à moindre coût » (ces trajectoires constituent ce que le dernier rapport du GIEC appelle les « least cost 2°C scenarios »).

La méthode des auteurs de l’étude est simple : ils prennent les émissions « business as usual » comme scénario de référence (0% de l’objectif 2°) et le « least cost 2°C scenario » comme le but à atteindre (100% de l’objectif 2°) ; ceci fait, ils expriment la somme des réductions d’émission projetées par les INDC en pourcentage de l’objectif 2°. Voici leur conclusion : « dans cette comparaison, les INDC sont estimées réduire la différence entre les émissions « business as usual » et les scénarios 2°C de 27% en 2025 et de 22% en 2030 ». C’est pourquoi nous avons affirmé ci-dessus que « le verre de la COP21 est vide à 80% ».

Il n’est d’ailleurs pas exclu que ce chiffre de 80% soit inférieur à la réalité. En effet, les INDC mériteraient d’être soumises à un examen plus détaillé, dans le but de vérifier si les Etats n’ont pas gonflé leurs chiffres afin de se donner une image de bons élèves de la classe. Des tricheries de ce genre se sont déjà produites plusieurs fois dans le dossier climatique (qu’on songe par exemple à la façon dont les Etats membres de l’UE ont surestimé les émissions de leurs industries polluantes, afin que celles-ci reçoivent gratuitement un maximum de droits d’émission revendus avec profit). Le fait que bon nombre d’INDC misent fortement sur les absorptions de CO2 par les forêts, ou sur les réductions relatives d’émissions, et relativement peu sur les réductions nettes, incite à la méfiance. Mais laissons cet aspect aux spécialistes et voyons plutôt comment l’accord de Paris envisage de combler le fossé entre les INDC et l’objectif d’un réchauffement maintenu entre 1,5 à 2°C…

Combler le fossé ? Chiche !

Au préalable, je dois avouer qu’un point des rapports du GIEC reste pour moi inexpliqué : alors que le diagnostic sur la gravité du changement climatique est de plus en plus inquiétant et que le phénomène progresse beaucoup plus vite que projeté à l’aide des modèles, comment se fait-il que le pic des émissions mondiales de gaz à effet de serre à respecter pour avoir 66% de chance de rester sous la limite des 2°C ait été reporté de façon aussi importante entre le 4e et le 5e rapport ? Selon le 4e rapport, pour ne pas dépasser 2°C de hausse, il fallait que les émissions mondiales culminent au plus tard en 2015 ; or, selon le 5e rapport, il serait encore possible de rester sous les 2°C en commençant à réduire les émissions mondiales seulement en 2020, en 2025, et même en 2030 –fût-ce au prix de difficultés de plus en plus importantes. Je suppose que les auteurs des rapports n’ont pas simplement pour but de maintenir la flamme de l’espoir, qu’il y a une explication scientifique à ce glissement. Mais je ne la connais pas…

Quoiqu’il en soit, admettons que le pic des émissions compatible avec 2°C ou 1,5°C puisse en effet n’intervenir qu’en 2025 ou en 2030 et revenons à notre question : comment l’accord de Paris envisage-t-il de combler le fossé entre les INDC et l’objectif d’un réchauffement « bien inférieur à 2°C » ? La réponse est dans le texte adopté : en révisant les INDC tous les cinq ans, dans le but d’en augmenter l’ambition. Cette révision reposera uniquement sur la bonne volonté des parties : l’accord n’est pas contraignant juridiquement, ne prévoit aucune pénalité, etc. Alors que la maison brûle, il est tout de même fort de café qu’un engagement aussi léger soit présenté comme une percée historique…

Une des questions importantes ici est celle du timing : l’accord de Paris entrera en vigueur en 2020, et la première révision n’aura lieu qu’en… 2023. Pour rappel, il a fallu huit ans pour ratifier le protocole de Kyoto, qui ne concernait qu’un petit nombre de parties et ne mettait en œuvre que des réductions d’émission dérisoires. Penser que, dans dix ans, alors que les tensions géopolitiques ne font que croître, 195 pays parviendront rapidement à s’accorder sur les 80% du chemin qu’ils doivent encore parcourir pour sauver le climat, c’est en réalité jouer à la roulette russe avec le sort de centaines de millions d’êtres humains et avec les écosystèmes. C’est peu dire que la COP21 n’infirme pas l’analyse écosocialiste, elle la confirme au contraire : le système capitaliste, quand il bute contre les limites écologiques, ne peut que reporter l’essentiel du problème devant lui, en le rendant de plus en plus complexe et dangereux.

Vous avez dit « Combustibles fossiles » ?

A propos de dangerosité, justement, celui ou celle qui s’obstinerait à croire qu’un miracle s’est produit le 12 décembre au Bourget devrait encore se poser deux autres autres questions :

comment se fait-il que les mots ou expressions « combustibles fossiles », « industrie », « charbon », « pétrole », « gaz naturel », « fabrication automobile », et d’autres tout aussi cruciaux pour le sujet qui nous occupe, n’apparaissent pas une seule fois dans le texte de Paris ? Que le mot « énergie » ne soit cité que deux fois dans une même phrase à propos de l’Afrique (et une fois dans le nom de l’Agence Internationale de l’Energie) ?
à l’inverse, comment se fait-il que les mots ou expressions « transition énergétique », « sobriété énergétique », « recyclage », « réemploi », « biens communs », « localisation » ne soient jamais utilisés ? Que l’expression « énergie renouvelable » ne soit employée qu’une seule fois, et uniquement à propos des pays « en développement » (« l’Afrique en particulier ») ? Que “biodiversité” ne soit employé qu’une seule fois ? Que le concept de “justice climatique” n’apparaisse lui aussi qu’une seule fois, comme « important pour certains » – précisément dans ce même alinéa fourre-tout qui mentionne la biodiversité et l’importance (“pour certains” aussi !) de la Terre Mère ?

Ces lacunes ne sont pas le fruit du hasard mais la marque d’un projet précis, d’une stratégie capitaliste de réponse au défi climatique. Les climato-négationnistes semblent en passe de perdre la partie dans la classe dominante, et c’est tant mieux. Pour autant, on aurait tort de considérer avec soulagement que l’accord de Paris est un « signal fort », « tournerait la page des combustibles fossiles » ou marquerait le tournant vers une « transition juste », comme l’ont dit certains. Les coupables du désastre – en gros, les secteur des fossiles et du crédit- tiennent fermement le gouvernail.

Un tournant, mais lequel ?

Il y a tournant ? Sans doute. Il y a sans doute prise de conscience, au plus haut niveau, du risque majeur, incalculable, que le réchauffement global, s’il n’est pas jugulé, fait peser sur la société, sa cohésion et son économie (l’encyclique du pape François est une manifestation de ce phénomène). Il est probable que certains décideurs capitalistes ne se contenteront pas d’utiliser cette COP comme un paravent pour cacher la catastrophe que leur incurie politique prépare depuis le Sommet de la Terre de 1992, qu’ils tenteront de s’accorder pour combler le fossé entre les INDC et ce qui est nécessaire pour contenir le réchauffement au-dessous des 2°C. Mais il est peu probable par contre qu’ils y parviennent (c’est un euphémisme) … Entre autres raisons parce que le tournant est amorcé très tard, que le capital fossile a le pied sur le frein et que le monde multipolaire est déchiré par des rivalités inter-impérialistes féroces, sans leadership clair…

De plus, l’objectif n’est pas tout, il y a aussi la manière. Or, le « least cost 2°C scenario » qui inspire les stratèges c’est le recours non seulement aux « énergies douces » mais aussi au nucléaire, à la combustion des fossiles avec capture-séquestration du carbone, à l’hydroélectricité géante et à la combustion de la biomasse avec « récupération du carbone » (carbon recovery). Le 5e rapport du GIEC est formel : sans cela, rester au-dessous de 2°C n’est vraiment « pas rentable », les coûts explosent, les profits sont menacés ! Sacrilège !

Au hit parade des technologies d’apprentis sorciers, la combustion de biomasse avec récupération du carbone a la cote. Ses partisans font le raisonnement qu’en brûlant cette biomasse, en stockant le CO2 issu de cette combustion et en cultivant une nouvelle biomasse à brûler qui – en poussant, absorbera du CO2 de l’air – on pourra non seulement réduire les émissions mais aussi diminuer le stock de CO2 accumulé dans l’atmosphère. Le raisonnement est imparable… mais l’énorme consommation de biomasse que ce projet implique ne peut que détruire à la fois les écosystèmes et les communautés humaines qui y vivent. Or, c’est bien dans ce sens-là que l’accord de Paris pose des jalons, par exemple en annonçant un ample « mécanisme de développement durable ». A la lecture, on comprend qu’il s’agira simplement d’amplifier au maximum le « mécanisme de développement propre » de Kyoto… grâce auquel des groupes automobiles européens, notamment, « compensent » leurs émissions en investissant au Sud dans des projets « forestiers », sur le dos des peuples indigènes.

Voilà « l’ambition réaliste » décrite par Hollande lors de l’apothéose médiatique de la COP. Voilà le vrai visage de ce que certains s’obstinent à saluer comme la marche vers un « capitalisme vert ». Voyons la réalité en face. Ce qui se met en place au nom du « développement durable » est anti-écologique, antisocial, ne sauvera pas le climat et nécessitera toujours plus de répression pour briser les résistances, faire taire les dissidences. Décrété sous prétexte de lutte antiterroriste, l’état d’urgence policier est tout compte fait très révélateur de certaines tendances cachées de cette COP…

Daniel Tanuro

Voir en ligne : http://npa2009.org/actualite/ecolog...

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Mis à jour le dimanche 21 avril 2024